La piste du Diable
Entre Dosquet et Sainte-Agathe-de-Lotbinière, il y avait un camp de bûcherons. Dans ce temps-là, ils passaient leur hiver dans le chantier, dans le camp. Il y en avait deux ou trois dans les alentours et, de temps en temps, ça se rassemblait pour faire une veillée pour avoir du plaisir.
Justement, c’était le Mardi gras au soir. Autrefois, le Mardi gras était fêté, parce que c’était la veille du mercredi des Cendres et du début du carême, où ils en avaient pour 40 jours sans manger de viande ni faire d’excès.
Donc, ce beau soir-là, les travailleurs du chantier s’étaient rassemblés et les bûcherons des autres camps étaient venus fêter aussi. Aussitôt les gens arrivés, la veillée a commencé. Au début des veillées, ça commençait par jouer aux cartes tranquillement, puis ça prenait un p’tit coup de Caribou, et quand le plaisir embarquait, ça lâchait les cartes et ça se mettait à danser. C’était défendu de danser dans ce temps-là ! On disait même que dès qu’on mettait les pieds sur le seuil de la porte où ça dansait, le péché était commis.
Au cours de la veillée, un bel homme, ganté et vêtu de noir, cogna à la porte et entra dans le camp. Il demanda à se joindre aux festivités pour la veillée. Tous acceptèrent de bonne grâce, même si on trouvait bizarre que le monsieur ne veuille pas ôter son chapeau ni ses gants.
Même si toutes les jeunes femmes voulaient danser avec lui, l’homme ganté avait plutôt l’air intéressé par la fille de la cuisinière. Il lui parlait, la reluquait et lui tournait autour. La jeune fille avait une petite chaîne dans le cou, avec une petite croix. Il voulait qu’elle l’ôte. Elle refusa.
La mère, la cuisinière du camp, qui était assez âgée, ne s’occupait pas de la veillée, même si ça giguait fort autour d’elle. Elle se berçait à ras le poêle en surveillant l’étranger courtiser sa fille. Elle se demandait pourquoi il voulait pas ôter son chapeau, pourquoi il voulait que sa fille enlève sa chaîne. Tout ça commençait être louche, très louche.
À un moment donné, ça cogna encore à la porte. C’était le curé qui arrivait. Parce que dans ce temps-là, c’était la coutume, le curé faisait le tour de tous les camps de bûcherons des alentours. Le curé entra et donna la main au monde. L’ambiance se refroidit un peu.
La vieille dame lui apprit les étranges agissements de l’inconnu en noir. Sans attendre, le curé s’en alla le voir et lui passa son étole autour du cou. Si vous aviez vu ce qui s’est passé ! Le Diable a lâché la petite en poussant un cri sauvage, tous ses habits ont pris en feu, puis il est sorti par la porte comme une balle, laissant une odeur de roussi dernière lui.
Mais le bougre avait pas remarqué la croix en avant du camp. En la voyant, il a braké si sec que ses deux pieds sont rentrés dans la roche ! Il est reparti aussi vite, mais sa chaussure est restée dans le roc. Pied nu, il a fait une autre piste un peu plus loin et s’est volatilisé dans la nuit.
Je peux vous dire que le monde s’est tenu tranquille pour un temps après la peur qu’ils ont eue ! Trois traces du Diable se sont imprimées dans la pierre ce soir-là. Aujourd’hui, une seule est encore visible : on distingue comme il faut la chaussure et le talon. Mais l’autre piste, où on pouvait compter les cinq orteils, a disparu quand ils ont miné le cap pour élargir le chemin.
Relatée par Albert Gagné et romancée par Véronik Desrochers.
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