La drave sur la rivière Beaurivage
M’a vous conter c’qui m’est arrivé dans mon bas âge. J’avais quatorze, quinze ans dans c’temps-là. La drave était pris dans un coude d’la Beaurivage. On avait espérance de draver dans l’été, j’avais ben hâte à ma première drave ! Mais l’eau de la rivière n’est pas montée, ça fait que tout l’bois était encore là quand l’automne est venu.
Avant l’hiver, la compagnie a décidé de faire haler l’bois de la rivière et de le corder au sec et en sécurité pour pas que l’eau l’emporte au printemps. Un nommé William Flamant, connu par plusieurs dans le coin de Saint-Gilles, avait jobbé un bout. Moué pis mon père, on travaillait pour lui. Mon père était fort et y’avait de l’expérience, y gagnait une piasse par jour, pis moi, je recevais cinquante cents. J’étais jeune, j’avais quatorze ans, j’étais pas ben ben robuste encore, mais j’avais du nerf et de l’énergie.
Cet automne-là, v’là-ti pas que j’ai attrapé une sorte de pleurésie à force de me mouiller dans l’eau frette pour aller chercher les billots. J’ai fini la job de peine et de misère, je vous dis. Pis, après c’te contrat-là, il m’est toujours resté comme un point dans le côté. J’tais ben découragé de ça. Ça m’empêchait de travailler et de faire ma besogne, j’avais même d’la misère à me coucher sur mon côté. J’en m’nais pas large !
Un bon soir, un bon quêteux est arrivé chez nous. Un nommé Léon, comme moi, c’tait facile à se rappeler. Mes parents l’ont installé, comme de convenance, sur le banc près de l’entrée. Il était ben d’adon, ça fait que j’me suis mis à y parler de mon mal pendant que le père et mes frères étaient à l’étable. J’y racontais mon malheur.
Ben y dit : « J’ai justement l’remède pour toué ! » Je voulais pas qui se fende en quatre pour moi, mais ça m’intriguait de savoir si sa médecine allait me guérir. Ça fait qu’il est parti à travers champs et forêts et y’est revenu avec des mauvaises herbes et des substances écœurantes dans sa besace. Y’a tassé la mère de son poêle et y’a commencé à fabriquer une potion qui sentait le diable. L’haleine du grand-père sentait la rose à côté d’ça, je vous dis !
Après trois quarts d’heure de décoction, y m’a fait coucher sur la table, pis y m’a beurré de c’t’emplâtre-là. Une sorte de gomme noire, un tapis ben ciré qui m’a mis d’sus, je vous dis, c’était toute qu’une affaire. Ma mère rouspétait et faisait des grimaces; elle voulait pas qui salisse la table. Moé, je me demandais comment j’allais faire pour décoller cette écœuranterie-là. Une chance que j’étais pas trop trop poilu dans ce temps-là. Finalement, ben sérieux, le quêteux m’a dit : « Mets l’emplâtre soir et matin pendant deux jours, pis tu vas être couché sur ton côté et respirer comme faut en moins de deux ».
Le lendemain, y’a d’mandé à manger, remercié le père et y’est parti en me rappelant sa consigne.
Comme de faite, j’ai écouté ce qui m’a dit. Ah, j’sais pas si j’avais confiance, mais je me suis dit que j’avais rien à perdre. Pis, imaginez quoi ? Ça m’a guéri, et le mal de poumons n’est jamais revenu. J’touche du bois en vous disant ça !
J’ai jamais revu c’te quêteux-là, Léon qui s’appelait, j’ai jamais pu le remercier de m’avoir enlevé mon mal. En fait, c’est un peu ce que j’fais aujourd’hui en vous contant cette histoire-là.
Contée par Léon Jolicoeur, Saint-Gilles, Archives de folklore de l’Université Laval, collection André Bilodeau. Adaptée par Véronik Desrochers.
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