La danse des feux follets

Le sol argileux causa bien des maux aux premiers habitants de la paroisse de Saint-Édouard-de-Lotbinière. Vers l’an 1900, le remplacement de l’église de pierres par une nouvelle et plus vaste église était devenu inévitable. Non seulement la première, construite en 1860, était devenue trop exiguë pour la population en croissance, mais surtout, elle s’enfonçait dans le sol malgré la présence de pilotis. Une église sur pilotis direz-vous ! Eh oui, car elle se situait au cœur d’une dépression de terrain, voisine des eaux dormantes de la rivière Du Bois Clair. De plus, le sol comportait une couche profonde d’argile semi-liquide à moins de deux pieds de la surface. Tous les ingrédients étaient réunis pour donner de bons maux de tête à l’architecte Baillargé !

On s’affaira donc à construire l’église actuelle au même emplacement, mais avec une structure plus légère, en bois. La construction fut terminée en 1901. Malgré cette nouvelle église, la nature du sol n’a pas pour autant cessé de causer des problèmes aux paroissiens, voire à leurs défunts…

S’il faut en croire l’abbé J.-Apollinaire Gingras, curé de Saint-Édouard de 1878 à 1886, l’état marécageux du cimetière était alarmant. Au point tel qu’il craignait qu’au Jugement dernier ses paroissiens ne ressuscitent dans une grenouillère sous les moqueries des autres ressuscités ! « Mais les braves gens de Saint-Édouard, c’étaient donc des wawarons ! » écrivait-il afin d’inciter ses ouailles à faire les travaux d’égouttement nécessaires au cimetière.

Les paroissiens s’exécutèrent en réalisant des travaux importants de drainage. On creusa des tranchées, posa de la pierre pour permettre à l’eau de s’évacuer. On en profita également pour relever le cimetière au moyen de 2 000 voyages de sable. Il sera relevé à nouveau vers 1920, par l’ajout d’une nouvelle couche de sable.

Malgré ces travaux, à une époque où les pompes n’existaient pas, il n’était pas rare de voir les fosses se remplir d’eau au fur et à mesure qu’on les creusait, surtout au printemps. Lors des inhumations, il fallait alors appuyer sur les cercueils avec des piquets pour les empêcher de flotter pendant qu’on fermait la fosse. Imaginez le spectacle !

Les paroissiens n’étaient toutefois pas au bout de leurs peines, puisqu’on raconte que, le soir venu, dans la noirceur extrême, des lumières d’un autre monde faisaient peu à peu leur apparition. Seulement quelques-unes au départ, puis plus la nuit avançait, plus elles étaient nombreuses. Et alors s’amorçait la danse des feux follets. Ces intrigantes petites lueurs ressemblaient à des boules de feu. Telles de petites flammes, les feux follets vacillaient et dansaient au-dessus du cimetière, chaque nuit des soirs d’été. Leur lueur bleutée, parfois jaunâtre ou vermillon, survolait le sol, illuminant les stèles mortuaires pendant quelques secondes. Plutôt flous, les feux semblaient se reconnaître et s’amusaient entre eux.

Plusieurs villageois étaient si effrayés qu’ils faisaient des détours immenses pour se garder d’apercevoir les lueurs du cimetière. Ce qu’ils ignoraient, c’est que ces envoûtantes lumières s’éloignaient avec une rapidité extraordinaire lorsqu’un hasardeux être vivant osait s’approcher d’elles. Toutefois, les enfants les plus téméraires aimaient bien s’y rendre. En cachette, bien sûr, afin d’éviter une réprimande de leurs parents, mais surtout pour ne pas effrayer les feux follets qui leur offraient alors tout un spectacle de danse.

Les légendes racontent que ces lumières sont les âmes en peine des défunts qui reviennent sur terre et qui tentent d’entrer en contact avec leurs proches… Les scientifiques, quant à eux, expliquent qu’il s’agit de l’émanation de certains gaz qui, au contact de l’air, s’enflamment spontanément. Cela dit, plusieurs sceptiques doutent de cette théorie farfelue. D’aucuns préfèrent penser que les feux follets sont des esprits malins, de minuscules fées ou de petits lutins venus danser le soir venu dans un lieu où les êtres humains sont discrets, attentifs et immobiles.

Source : « Saint-Édouard-de-Lotbinière se raconte » et « Saint-Édouard 1863-1988 ». Histoire romancée par Véronik Desrochers.

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