C’est à rivière Henri que prit naissance, en 1921, le noyau villageois qui deviendra Saint-Janvier-de-Joly. À cette époque, il s’agissait surtout d’un village industriel bâti autour du moulin à scie de la compagnie Finch Pruyn. Grâce à un accord conclu avec le seigneur Edmond-Gustave Joly de Lotbinière, la compagnie pouvait exploiter la ressource première du secteur, le bois. Le village de la rivière Henri n’était pas très étendu, mais il comportait d’imposants bâtiments : le moulin à scie, bien entendu, le dortoir, qu’on appelait le bunk house, l’hôtel, le magasin général, la cordonnerie, l’écurie, la chapelle-école, l’office ainsi que les maisons jumelées.

La coupe du bois se pratiquait principalement l’été, de l’est vers l’ouest, afin de faciliter la drave sur la rivière Du Chêne. Une fois les billots arrivés au moulin, on procédait au débitage pour en faire des planches qui étaient en majorité expédiées aux États-Unis. Le cèdre avait cependant un traitement différent. Il était usiné dans un autre moulin du village et transformé en bardeaux. Encore aujourd’hui, les fins observateurs verront quelques-unes de ces reliques sur certaines maisons d’époque, à travers le comté.

La compagnie dut toutefois mettre fin à ses opérations en 1928 puisque le gouvernement prit possession des terres qu’il subdivisa en lots cultivables. Comme convenu par le contrat, la fermeture du moulin entraîna la démolition ou le déménagement de tous les bâtiments afin de remettre les lieux à leur état d’origine. Rivière Henri passa à l’histoire et seuls la tradition orale ainsi que quelques documents d’archives peuvent encore témoigner de son existence.

Le ministère de l’Agriculture et de la Colonisation du Québec distribua donc des terres gratuitement en cette période de crise économique. Venant de Beauce, de Mégantic, de Dorchester et même de Charlevoix, les premiers résidents de Saint-Janvier-de-Joly s’établirent sur ces terres nouvellement disponibles avec l’aide du gouvernement. Le centre du village se déplaça alors à son emplacement actuel.

Toutefois, le malheur s’abattit sur les nouveaux arrivants lorsqu’un terrible feu de forêt éclata en juin 1933. En un rien de temps, la paroisse s’enflamma. Maisons, granges, forêt, bois de sciage et bois de corde; tout était la proie des flammes. Triste sort pour ces familles ayant fraîchement colonisé cette terre. Paniquées, elles fuirent le brasier du mieux qu’elles le purent à travers les champs, là où on pouvait passer sans se brûler. Les habitants empruntèrent également la voie ferrée, avec les enfants et peu d’effets personnels, quittant leur demeure sans savoir s’ils la retrouveraient. Les paroisses voisinent aidèrent en installant plusieurs pompes à incendie, certaines arrivant même de Québec. Tard le soir, les gens purent néanmoins regagner leur logis.

Cependant, août 1949, seize ans plus tard, le triste destin frappa encore. Plus fort… Durant quinze jours, un effroyable feu de forêt sema à nouveau la terreur et la désolation parmi les colons. Le feu courait dans le sol et était difficilement maîtrisable. Deux maisons, une grange, le pont de la rivière Henri ainsi que plusieurs hectares de forêt disparurent dans le brasier. Dans la forêt, tout fut dévasté, le bois renversé, des cavités énormes creusées par le feu. Encore une fois, les villages voisins, solidaires, prêtèrent main-forte aux sinistrés. Des barils d’eau et des pompes à incendie furent dépêchés sur les lieux. Tous les hommes étaient au feu, fidèles défenseurs de leur communauté.

Une chance dans leur malchance ? Aucun citoyen ne perdit la vie lors de ces incendies. En revanche, après ce deuxième désastre, plusieurs familles prirent la décision de quitter la paroisse, n’ayant plus la force de recommencer. Jamais deux sans trois, dit-on ? Or, les valeureuses âmes ayant relevé le défi de rebâtir Saint-Janvier-de-Joly forgèrent le blason local qui se résume comme suit : Foi et Courage.

Source : Saint-Janvier-de-Joly raconté au fil des ans – 1936-1986.

Le sol argileux causa bien des maux aux premiers habitants de la paroisse de Saint-Édouard-de-Lotbinière. Vers l’an 1900, le remplacement de l’église de pierres par une nouvelle et plus vaste église était devenu inévitable. Non seulement la première, construite en 1860, était devenue trop exiguë pour la population en croissance, mais surtout, elle s’enfonçait dans le sol malgré la présence de pilotis. Une église sur pilotis direz-vous ! Eh oui, car elle se situait au cœur d’une dépression de terrain, voisine des eaux dormantes de la rivière Du Bois Clair. De plus, le sol comportait une couche profonde d’argile semi-liquide à moins de deux pieds de la surface. Tous les ingrédients étaient réunis pour donner de bons maux de tête à l’architecte Baillargé !

On s’affaira donc à construire l’église actuelle au même emplacement, mais avec une structure plus légère, en bois. La construction fut terminée en 1901. Malgré cette nouvelle église, la nature du sol n’a pas pour autant cessé de causer des problèmes aux paroissiens, voire à leurs défunts…

S’il faut en croire l’abbé J.-Apollinaire Gingras, curé de Saint-Édouard de 1878 à 1886, l’état marécageux du cimetière était alarmant. Au point tel qu’il craignait qu’au Jugement dernier ses paroissiens ne ressuscitent dans une grenouillère sous les moqueries des autres ressuscités ! « Mais les braves gens de Saint-Édouard, c’étaient donc des wawarons ! » écrivait-il afin d’inciter ses ouailles à faire les travaux d’égouttement nécessaires au cimetière.

Les paroissiens s’exécutèrent en réalisant des travaux importants de drainage. On creusa des tranchées, posa de la pierre pour permettre à l’eau de s’évacuer. On en profita également pour relever le cimetière au moyen de 2 000 voyages de sable. Il sera relevé à nouveau vers 1920, par l’ajout d’une nouvelle couche de sable.

Malgré ces travaux, à une époque où les pompes n’existaient pas, il n’était pas rare de voir les fosses se remplir d’eau au fur et à mesure qu’on les creusait, surtout au printemps. Lors des inhumations, il fallait alors appuyer sur les cercueils avec des piquets pour les empêcher de flotter pendant qu’on fermait la fosse. Imaginez le spectacle !

Les paroissiens n’étaient toutefois pas au bout de leurs peines, puisqu’on raconte que, le soir venu, dans la noirceur extrême, des lumières d’un autre monde faisaient peu à peu leur apparition. Seulement quelques-unes au départ, puis plus la nuit avançait, plus elles étaient nombreuses. Et alors s’amorçait la danse des feux follets. Ces intrigantes petites lueurs ressemblaient à des boules de feu. Telles de petites flammes, les feux follets vacillaient et dansaient au-dessus du cimetière, chaque nuit des soirs d’été. Leur lueur bleutée, parfois jaunâtre ou vermillon, survolait le sol, illuminant les stèles mortuaires pendant quelques secondes. Plutôt flous, les feux semblaient se reconnaître et s’amusaient entre eux.

Plusieurs villageois étaient si effrayés qu’ils faisaient des détours immenses pour se garder d’apercevoir les lueurs du cimetière. Ce qu’ils ignoraient, c’est que ces envoûtantes lumières s’éloignaient avec une rapidité extraordinaire lorsqu’un hasardeux être vivant osait s’approcher d’elles. Toutefois, les enfants les plus téméraires aimaient bien s’y rendre. En cachette, bien sûr, afin d’éviter une réprimande de leurs parents, mais surtout pour ne pas effrayer les feux follets qui leur offraient alors tout un spectacle de danse.

Les légendes racontent que ces lumières sont les âmes en peine des défunts qui reviennent sur terre et qui tentent d’entrer en contact avec leurs proches… Les scientifiques, quant à eux, expliquent qu’il s’agit de l’émanation de certains gaz qui, au contact de l’air, s’enflamment spontanément. Cela dit, plusieurs sceptiques doutent de cette théorie farfelue. D’aucuns préfèrent penser que les feux follets sont des esprits malins, de minuscules fées ou de petits lutins venus danser le soir venu dans un lieu où les êtres humains sont discrets, attentifs et immobiles.

Source : « Saint-Édouard-de-Lotbinière se raconte » et « Saint-Édouard 1863-1988 ». Histoire romancée par Véronik Desrochers.

Lors de la rébellion des patriotes en 1837-1838, la région de Montréal et la vallée du Richelieu étaient en pleine ébullition et, comme une traînée de poudre, l’agitation s’étendit partout au Québec.

Après la défaite de la bataille de Saint-Eustache, un groupe de patriotes songea à utiliser le Moulin du Portage de Lotbinière comme forteresse. Le projet fut vite abandonné, mais l’ombre de ces vaillants patriotes hantera le moulin pendant plusieurs décennies, puisqu’un patriote gravement blessé à la bataille de Saint-Eustache, poursuivi par des patrouilles anglaises, harcelé par ses propres compatriotes, réussit à fuir l’horreur des lieux avec quelques compagnons. Il s’agissait de nul autre que Nicolas Arsenault, dit le Déporté. Il portait ce surnom parce que les Anglais avaient déporté son grand-père en Acadie en 1755.

Le meunier de l’époque donna l’hospitalité à ce courageux défenseur des libertés canadiennes-françaises, et ce, malgré les sanctions sévères de la cour martiale à ceux qui abritaient et aidaient les patriotes. Après plusieurs nuits de veille et de dévouement, les soins du meunier furent vains, et le vaillant patriote succomba à ses blessures. Il fut enterré secrètement, de nuit, dans un cimetière de la région, sans office religieux.

On pensait l’incident clos. La révolte s’était calmée, les Anglais prenaient tranquillement le contrôle du pays à coup de politiques et d’immigration qui visaient l’assimilation des Canadiens français. Toutefois, un autre cas occupait les habitants du moulin de Lotbinière. En effet, exactement sept ans après la mort de Nicolas dit le Déporté, des bruits étranges se firent entendre dans les combles, le soir, quand la grande roue du moulin s’immobilisait. Comme les premiers bruits débutèrent à l’anniversaire de la mort du Déporté Arsenault, on songea aussitôt à son âme. Il venait rappeler aux nouveaux résidents les souffrances et les injustices qu’il avait vécues de son vivant. On récita donc des Pater, des Ave Maria et des De Profondis, mais rien n’y fit. Chaque soir, lorsque le mécanisme devenait silencieux, les bruits étranges continuaient à semer la terreur à l’étage du bas.

Un missionnaire de passage dans la région tenta d’apaiser le fantôme. Il brûla un cierge, aspergea de l’eau bénite dans le réduit où Nicolas avait rendu l’âme et tenta même l’exorcisme. Encore là, ce fut un échec. Le religieux déclara forfait, souhaitant bonne chance aux résidents du moulin qui, terrorisés par les bruits incessants, pensaient à fuir les lieux.

En dernier recours, un vieil ermite, réputé pour sa sagesse et ses bons conseils, fut consulté. Après quelques heures de réflexion, l’ermite donna le conseil suivant : « Faites chanter sept messes, soit une par jour pendant une semaine et, ensuite, une tous les sept ans pour l’âme de Nicolas. »

L’ermite fut chaleureusement remercié, le conseil fut suivi et, dans la semaine suivante, les bruits cessèrent de moitié. Il fallut quand même attendre la septième messe de la septième année avant que les bruits étranges ne disparaissent définitivement. Depuis, chaque anniversaire de la mort du déporté, les bonnes gens du Moulin du Portage récitent un Pater et trois Ave Maria, tandis que, tous les sept ans, comme promis, on fait chanter une messe pour le repos de l’âme de ce valeureux patriote.

On dit que l’âme de Nicolas Arsenault erre toujours dans les combles du vieux moulin mais, apaisée, elle le fait sans effervescence ni grand remue-ménage. D’ailleurs, si vous êtes chanceux – ou malchanceux, selon vos croyances – vous pourriez apercevoir son fantôme se promener près de la rivière par soir de brouillard. Qu’attend ce personnage historique pour quitter le monde des vivants ? Peut-être considère-t-il que sa quête patriotique n’est pas terminée, qui sait ?

Ce texte fut écrit en 1890 par Marie Hébert et repris par Michel Gaudet.
Extrait de Leclercville – toute une histoire par Réal Beaudet.

Le fleuve Saint-Laurent fut jusqu’au début du 20e siècle le principal chemin d’accès aux municipalités le longeant. Les résidents se servaient de goélettes pour se rendre à la ville et ainsi vendre les produits de la terre et faire des commissions. De plus, certains partaient en pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré ou au Cap-de-la-Madeleine.

Le fleuve constituait indéniablement le chemin le plus facile pour atteindre Québec ou Montréal avant que les routes en macadam ne soient réalisées en 1922-1923. Le Saint-Laurent apportait également ses petits plaisirs, l’hiver venu, lorsque les glaces se formaient. Bien sûr, c’était avant la construction du pont de Québec et l’ouverture du chenal pour favoriser la navigation à l’année. Lorsque la saison froide s’installait, l’immense cours d’eau gelait et on pouvait se visiter de la rive nord à la rive sud, de Portneuf à Lotbinière. Les riverains organisaient des veillées de part et d’autre, les jeunes gens ébauchaient des projets de mariage qui ne se réalisaient parfois que l’année suivante.

Quand les glaces arrêtaient de bouger, les gens de la rive sud l’apprenaient par l’arrivée de Samuel Godin, intrépide citoyen du secteur des Écureuils à Donnacona, qui traversait en patin. Quelques jours après, les hommes balisaient la route glacée avec des gaules, de longues perches de bois, qui délimitaient le chemin officiel. À cette époque, les battures permettaient également la pêche blanche. On y aménageait donc de petites cabanes de bois pour protéger les pêcheurs du vent. Les rives du fleuve étaient alors fort animées.

C’est aussi par le Saint-Laurent que vinrent les premiers bâtisseurs de Sainte-Croix. Quelle épopée que l’arrivée du premier ancêtre des Legendre ! Si l’un de vos amis vous disait, à brûle-pourpoint, que son ancêtre est arrivé en Amérique à la nage, vous auriez sans doute le réflexe de le traiter de loufoque ou de farfelu. Pourtant, c’est ce que pourraient vous raconter les Legendre d’Amérique dont l’ancêtre Jean-Baptiste s’est retrouvé à Sainte-Croix en d’étranges circonstances… Voici l’histoire, selon les souvenirs de son descendant, Louis-Philippe.

Le premier de la lignée des Legendre n’était pas un fils de Neptune sorti de la mer sur un char tiré par deux chevaux marins. En fait, il aurait vécu à Paris, mais serait originaire du département de Maine-et-Loire. Aux alentours de 18 ans, Jean-Baptiste déserte ses parents, Jacques Legendre et Geneviève-Catherine Orioto, et s’engage au Havre en tant que matelot à bord d’un voilier en partance pour le Canada. Arrivé à Québec, Jean-Baptiste n’essaie pas de fuir tout de suite, il attend le moment propice pour disparaître avant la fin du voyage, prévu à Montréal.
Un soir, le capitaine fait jeter l’ancre vis-à-vis de la rivière Jacques-Cartier. Du côté nord, les flots rapides du cours d’eau découragent Jean-Baptiste qui juge la rive sud plus sécuritaire. Même s’il doit nager plus d’un kilomètre, des habitations sur la falaise lui donnent espoir. C’est Sainte-Croix.

À la faveur des ténèbres, le fugueur se glisse à l’eau et, comme un phoque, rejoint la rive pour s’y blottir en attendant l’aube. Tôt le matin, il grimpe la falaise et se dirige vers une habitation où une vieille femme le reçoit. À la vue d’une chaloupe qui se détache du vaisseau, sans doute pour essayer de capturer le fuyard, la bonne samaritaine lui ordonne de se cacher dans une barrique de lard salé alors vide. Mais, fausse alerte, la marée montante presse le capitaine de repartir et d’abandonner la poursuite.

Legendre se présente, déballe ses projets d’avenir et gagne la sympathie de la maison. Afin de le protéger, on l’envoie loger chez le fils de la dame, lequel vit plus loin dans les terres. C’est ainsi que l’ancêtre Legendre arriva à Sainte-Croix à la nage !

Jean-Baptiste devint un citoyen rangé, se mariant une première fois avec Suzanne Bourbeau, le 2 avril 1720. Le couple s’établit sur une terre à Sainte-Croix et eut deux filles. Son épouse décédant dans la fleur de l’âge, Jean-Baptiste se remaria le 24 novembre 1727 avec Anne Lemay, native de la paroisse voisine, Saint-Louis-de-Lotbinière. S’ensuit alors une longue généalogie de Legendre. Toutefois, l’histoire ne nous dit pas si les descendants sont d’aussi audacieux aventuriers et d’aussi bons nageurs que leur aïeul…

Sources : J.A. LeMay, Tricentenaire Seigneurie de Sainte-Croix Lotbinière
La petite histoire des paroisses de la Fédération des Cercles de Fermières
du district régional no 4.

Saint-Antoine-de-Tilly, un certain Joachim Crête avait un moulin à farine dans la concession de Beauséjour, sur la petite rivière appelée La Rigole. Le meunier vivait dans son moulin avec un engagé, un enragé, du nom d’Hubert Sauvageau. Les comparses faisaient bonne équipe, même si le jeune employé, soupe au lait et bouillant d’un feu intérieur, s’emportait facilement. Calme et patient, le patron ne faisait pas de cas de ses sautes d’humeur, il savait que le travail répétitif et exigeant du moulin pouvait tomber sur les nerfs.

La veille de Noël, les deux hommes burent et jouèrent aux dames pendant que la roue du moulin tournait, comme toujours. La nuit était claire, la lune pleine faisait reluire le tapis de neige aux alentours, le cœur des travailleurs s’égayait tranquillement malgré leur solitude. Les bouteilles vides s’entassaient, témoignant de leur état de gaieté et d’ébriété avancé.

Au dernier coup de minuit, le moulin s’immobilisa mystérieusement. Joyeux et éméchés par l’alcool, ils le remirent en marche après plusieurs tentatives échouées dues à l’étrange vacillement du plancher et à l’engourdissement de leurs sens. Ils retournèrent aussitôt à leur beuverie, mais la roue s’arrêta encore. Bien sûr, Sauvageau commença à rouspéter. « On peut même pas être tranquille le soir de Noël, mausus ! » Ils réussirent quand même à régler le problème, mais quelques instants plus tard, le moulin stoppa pour une troisième fois. À nouveau, les deux hommes vérifièrent le mécanisme du mieux que leur esprit embrouillé le leur permettait. Tout semblait dans l’ordre, mais impossible de faire tourner la roue, et ce, malgré les sacres et les grognements de l’engagé en beau fusil.

Crête, qui savait que tout se réglerait plus facilement au petit matin, laissa son employé tempêter seul et retourna se soûler. Au bout d’un moment, et de quelques verres, un étrange silence s’installa dans le bâtiment. Puis, des halètements et des gémissements suspects se firent entendre. « Soûl comme une botte, Sauvageau a dû se mettre les pieds dans les plats », se dit Crête en haussant les épaules. Il prit le temps de finir sa bière avant de porter assistance à son employé. Il se dirigea lentement vers la pièce où se trouvait la roue du moulin, s’appuyant sur les murs pour éviter de se casser la figure, sifflotant une petite chanson grivoise.

Il dégrisa net et sec quand il tomba, non pas sur son engagé, mais nez à nez avec un gros chien noir de la taille d’un homme, aux crocs longs comme des doigts, hirsute, puant et crachant. Un loup-garou ! Assis sur son derrière, la bête le fixait de ses yeux comme des tisons. Les deux se toisèrent un moment, Crête figé par la peur, le loup-garou excité et piaffant. Sans avertissant, le monstre attaqua. Crête eut tout juste le temps de s’emparer d’une faucille qui pendait au mur et de lui donner un coup à la tête avant de perdre conscience sous l’impact.

Le moulin qui se remit en marche tout seul réveilla les deux hommes deux jours plus tard. Heureusement que la meunerie était tranquille pendant le temps des fêtes, sinon des visiteurs-surprises auraient assisté à un drôle de tableau : empêtrés l’un sur l’autre, Crête tenait encore la faucille dans son poing; Sauvageau était blessé à l’oreille. Cette veillée de Noël avait été bien étrange. Tous deux aux prises avec des maux de tête infernaux, Sauvageau affirmait ne se souvenir de rien, Crête avait une vague impression de bête sauvage. La prochaine pleine lune confirmerait peut-être ses soupçons… Crête aimait bien son employé, mais à quel prix était-il prêt à le garder ?

Légende relatée par Mireille Thibault, romancée par Véronik Desrochers.

Une drôle d’histoire est arrivée à mon grand-père Laroche dans son jeune temps près de Saint-Apollinaire.

Il allait tirer les vaches tous les jours, de bon matin. Ça faisait un bout de temps qu’il y avait un mouton noir qui le suivait. Tous les matins, la bête venait se frotter pis bêler à son côté pendant qu’il essayait de faire sa besogne. Il trouvait ça ben tannant. Chaque fois, il lui donnait une tape sur le museau pour le faire partir. « Ôte-toi donc de là ! » chialait mon grand-père, qui était alors un jeune homme vif et fringant. Même quand il enfermait le bélier dans un enclos, il trouvait toujours le tour de se libérer et de revenir l’achaler de plus belle. « Tasse-toi, sinon je fais du ragoût de mouton pour souper ! » grommelait-il.

En fait, ce que mon grand-père ignorait, c’est que le gros mouton, c’était un loup-garou qui avait changé de forme et qui voulait se faire libérer. C’est bien connu, pour délivrer un loup-garou, il faut lui donner un coup assez fort pour qu’il saigne. Croyez-moi que si mon grand-père l’avait su, il l’aurait fait bien avant, il était vraiment tanné de se faire zigonner par ce torrieux de mouton !

Un jour, le mouton a été si entreprenant qu’il a suivi mon grand-père jusqu’à la maison et lui a fait renverser le bidon de lait qu’il venait juste de traire. « Ç’en est assez ! » cria-t-il. Comme il s’apprêtait à débarrer la porte d’entrée – mon grand-père était un grand prudent, il barrait toujours sa maison avant de partir travailler –, il avait une clé dans les mains. Cette fois-là, choqué noir, il donna un coup de clé sur le nez de l’animal, qui se mit à saigner à grosses lampées et déguerpit aussitôt.

Enfin tranquille, mon grand-père ramassa le bidon de lait vide et s’en retourna à l’étable. Il allait donner du foin aux vaches quand il entendit le mouton se lamenter au loin. Étant de bonne nature, mon grand-père espérait ne pas avoir blessé gravement le chenapan. Il retrouva la bête près de la shed à bois. Ce qu’il découvrit le laissa sans voix.

Le mouton s’était transformé en une créature de poils, de griffes et de crocs, grognant, jappant et se tordant d’un mal inconnu. Effrayé, mon grand-père allait prendre ses jambes à son cou, mais les grognements se firent plus doux et se changèrent peu à peu en plaintes aiguës de chiot craintif et blessé, pendant que le spectacle horrible et fascinant continuait. La fourrure de l’animal s’éclaircit graduellement, ses membres s’allongèrent, son museau disparut. Le mouton maléfique devenu loup-garou prenait peu à peu une forme étrangement humaine. Finalement, apparut un homme sale et poilu, nu comme un ver, qui saignait du nez.

Le sang versé avait délivré le pauvre prisonnier de son corps de loup-garou.

Mon grand-père reconnut l’homme, il le connaissait bien. Tout s’expliquait maintenant. Après avoir repris ses esprits, l’ancien loup-garou lui défendit de raconter cette histoire à qui que ce soit. Il ne voulait pas que ça se sache, sa transformation était une punition, contre nature, il ne voulait pas se faire chasser de sa famille ni du village. Il allait se tenir tranquille à présent, il avait eu sa leçon.

Mon grand-père m’a souvent raconté cette histoire, mais n’a jamais voulu révéler le nom de ce mystérieux homme loup-garou, même pas à moi sa petite-fille. Mais j’ai ma petite idée sur son identité. Le voisin, ben fin et prévenant, est l’homme le plus poilu que j’ai vu de ma vie. Étonnement, même si on le sait docile et gentil comme un agneau, il a le nez croche, comme s’il avait reçu un gros coup dans sa jeunesse…

Légende racontée par Mme Eudore Bergeron, Archives de folklore de l’Université Laval, collection Michel Duval, romancée par Véronik Desrochers.

Cette journée du mois d’août avait été particulièrement humide à Notre-­Dame-Du-Sacré-Cœur-d’Issoudun. Lorsque le soleil glissa sous la ligne d’horizon, les nuages gris, gonflés d’eau et chargés d’électricité, se répandirent dans le ciel pareil à de l’huile sur le sol.

Un fort vent rudoya les champs, puis siffla aux abords des fenêtres. La pluie, transportée par bourrasque, saccagea les routes de terre. Dans un claquement sec, le tonnerre retentit tel l’écho d’une explosion. La foudre fendit le ciel et s’abattit sur le chemin menant au village. Un second fracas tonna, et l’éclair frappa le cœur de la paroisse. L’église, transformée en une torche monstrueuse, peignait le firmament d’un panache rougeâtre.

Le forgeron observait le brasier par la fenêtre. L’édification à peine achevée, déjà l’église croulait en cendre. « Quelle tragédie… », murmura-t-il, affligé. Soudain, quelqu’un frappa à sa porte. Étonné d’apercevoir le postillon à cette heure, il le pressa d’entrer d’un geste.

– Entre Albert ! Ne reste pas dehors par un temps pareil !

Le regard sombre du visiteur le troubla. Quelque chose d’étrange émanait de lui. Une forte odeur de brûlé incommodait Joseph davantage qu’Albert. Ce dernier s’assit au bout de la table, glissa une main dans sa chevelure clairsemée et raconta ce qu’il venait de vivre.

– À l’orée du village, sur le chemin boueux, l’éclair est tombé droit sur ma calèche, bang ! La roue gauche est endommagée. Il me reste encore du courrier à livrer au village voisin, accepterais-tu de réparer cette roue ?

– Dès les premières lueurs du jour, lui promit le forgeron.

À six heures le lendemain, le forgeron fixa une nouvelle roue sur la voiture. Devant la mine déconfite du vieil homme, Joseph lui offrit de payer ultérieurement. Albert le remercia d’un signe de tête, puis s’en alla.

Ce soir-là, une poignée de camarades se réunit à la forge. Chacun spéculait sur l’endroit où était tombée la première foudre. Joseph leur relata en détail la rencontre avec le postillon et précisa que « le vieux avait une drôle de bouille ».

Le jour suivant, le forgeron ferrait une jument lorsque le propriétaire de la bête raconta que le malheur affligeait la paroisse voisine; le magasin général avait brûlé durant la nuit.

– On dit que le véhicule hippomobile du postillon a été vu sur les lieux à l’aurore. Toutefois, personne n’a aperçu le vieil homme.

– Allons donc… Albert n’abandonne jamais son cheval ! Je n’accorde aucune crédibilité à ces médisances.

La cruauté du sort perdura. L’étable au bout du rang fut la troisième proie des flammes. Sans la protection de leur église, les incendies se multipliaient. Le diable se moquait-il d’eux ?
Le soir venu, Joseph s’apprêtait à faire sa comptabilité lorsqu’il entendit hennir. Aussitôt, il agrippa sa lampe à l’huile et sortit. De nouveau, cette odeur de brûlé se manifesta. Braquant la lanterne devant lui, il découvrit la calèche du postillon. L’étalon toujours attelé semblait calme. « Où est donc Albert ? », marmonna le forgeron en retirant sa casquette pour se gratter la tête.

Soudain, Albert apparut derrière lui.

– Jos, je n’y comprends rien, qu’est-ce qui arrive ? Tous ces feux…

– Je me questionne autant que toi.

Le postillon disparut subitement dans l’obscurité.

– Albert ?

L’odeur désagréable envolée de même qu’Albert, Joseph crut à un rêve. Inquiet, il eut du mal à s’endormir. Une chaleur soudaine heurta sa peau; une lumière ocre inondait la pièce. D’un bond, il se dirigea à la fenêtre; l’arbre, immense, de l’autre côté de la rue, brûlait comme un flambeau et menaçait la maison juxtaposée. À la chaîne, les villageois charrièrent des seaux d’eau.

Joseph les assista.

Au troisième jour suivant l’orage, alors que les incendies ne cessaient d’éclore, l’étonnante et persistante absence d’Albert exhortait les langues crochues à le calomnier. Plusieurs l’incriminaient. « Albert… l’incendiaire ? » Joseph rejetait ce jugement. « Ce vieux ne ferait pas de mal à une mouche ! »
Les dernières paroles du postillon lui revinrent en mémoire : « Tous ces feux… ». Au même moment, un gamin entra en trombe à la forge et annonça d’une voix haletante le décès d’Albert le postillon.

– Foudroyé le soir de l’orage; son corps vient d’être retrouvé dans le fossé.

Joseph blêmit.

Le soir venu, en raturant la dette d’Albert dans son livre, le forgeron huma à nouveau cette senteur devenue familière. Il leva les yeux. Le spectre du vieil homme se tenait devant lui.

– Je suis désolé, Jos, je manque à ma parole en n’acquittant pas ma dette.

– Ne t’inquiète pas, elle est déjà effacée.

– Personne ne me voit à part toi. Suis-je devenu fou ?

– Tu n’es pas fou… Tu as trépassé.

– J’ai peur, Jos… de provoquer d’autres incendies. Tous les endroits où j’ai roupillé ont pris feu, bien malgré moi.

– Oublie tout ça. Pars en paix.

Chantal Jacques, petite-fille du forgeron Joseph Demers et fille de Réjeanne Demers, a composé ce conte qui relate certains faits historiques,
dont l’incendie de l’église d’Issoudun en 1910.

Voilà qu’un soir d’automne, à la tombée de la nuit, une machine apparut dans un rang, du côté du couchant. « Qui est-ce ? » s’interrogèrent Gérard et son ami qui avaient tardé à rentrer en cette veillée de clair de lune. Au travers des lueurs, ils virent la voiture passer et s’arrêter au sud du chemin, à cent pieds d’eux. Un passager descendit pour ouvrir une barrière, puis, la machine emprunta une allée dans le champ, parcourut une dizaine d’arpents jusqu’à la lisière du boisé. Les observateurs étonnés ne reconnurent pas la silhouette fuyante et décidèrent d’aller dormir, sans plus de questionnement. Mystérieuse visite dans le voisinage !

Des semaines s’écoulèrent, l’hiver suivit son cours et, au printemps, Gérard se rendit à la beurrerie du village, le point de rendez-vous des villageois… et des potins de la place. Ce jour-là, on parlait d’une mystérieuse richesse cachée dans les champs des alentours.

Les ouï-dire disaient que l’automne dernier, des familles de Saint-Flavien s’étaient rendues dans la métropole pour visiter des parents. Quelques-uns avaient rencontré un Sage Homme jouissant d’un don de voyance. Il avait révélé qu’un chaudron d’argent était enfoui dans les sols flaviénois depuis les débuts de la colonie, puisqu’à l’époque où le transport s’effectuait par le fleuve, les hommes des goélettes devaient souvent enterrer leur avoir afin de le protéger. Il leur promit le chaudron d’argent s’ils acceptaient de travailler selon ses directives. Dès lors, les visiteurs, attirés par l’appât du gain, reçurent les consignes du vieux Sage. De retour à Saint-Flavien, disait-on, trois hommes partirent explorer le petit coin de pays pour découvrir la manne.

L’histoire était à suivre. Plusieurs villageois attroupés à la beurrerie se demandèrent : « Les chercheurs ont-ils trouvé ? Ont-ils abandonné les fouilles ? » Quant au jeune Gérard, il quitta la place, se rappelant cette machine aperçue l’automne dernier dans le champ du voisin.

Quelque temps après, lors d’une soirée au village, il se retrouva par hasard en compagnie de l’un des chercheurs qui lui révéla la prophétie du Sage Homme :

Au Bois-de-l’Ail, c’est là que vous irez,
Dans un champ où s’élèvent des crêtes boisées.
Trois milles, à partir du village, vous compterez.
Là, un érable solitaire, vous apercevrez.
Les soirs de lune, vous vous y rendrez,
De son croissant à son plein, avec fidélité.
Voici ce qu’en silence, vous ferez,
Autour de l’arbre, à la pelle, vous tracerez,
Un cercle d’un diamètre de douze pieds,
À l’intérieur où, toujours, vous travaillerez.
Un « Saint-Michel », vous planterez.
Sur le tour du cercle, chaque deux pieds,
Des palmes ou des quenouilles, vous piquerez.
L’un de vous se chargera de les allumer,
Sans oublier le rameau sanctifié.
À ce moment, vous creuserez, creuserez,
Tant que le feu vous donnera de la clarté.
Ainsi se déroulera votre travail, chaque veillée,
Jusqu’à ce que le chaudron d’argent soit trouvé.
N’ayez crainte à mettre le bon Dieu de côté.
Allez en paix, hommes de bonne volonté.

Sitôt la récitation achevée, le chercheur d’argent enchaîna :

« À la troisième soirée, juste après avoir allumé le rameau et les flambeaux, un prodige est survenu. Des grondements se sont fait entendre, de quoi glacer le sang et faire frémir jusqu’à la pointe des cheveux. Un court instant est passé, puis une ombre mouvante est apparue. Un taureau, à la ressemblance d’un bison, s’est approché. Une taille imposante, des cornes menaçantes, de grosses perles rouges à la place des yeux et un souffle renâclant. Le plus hardi de nous lui lança de la terre en pleine face. Le spectacle empira ! La bête s’est élancée dans l’anneau enflammé et s’est dressée en maître au cœur du foyer. Quel cirque monstrueux ! Elle grossissait, grondait, louchait. De ses naseaux sortaient des éclairs, telles les flammes de l’enfer. Avec l’énergie du désespoir, nous avons laissé tomber nos pelles et couru pour nos vies, persuadés que nul autre que Satan était à nos trousses. Plus personne n’y est retourné depuis. C’est terrible de réaliser que nous avons prêté notre âme au Diable ! »

Apprenant l’incroyable vérité, Gérard se souvint une fois de plus d’une machine dans le voisinage, un soir de lune d’automne… Le jour suivant, son ami et lui allèrent visiter l’endroit mystique. Que virent-ils ? La marque d’un cercle et un tas de terre équivalent à une charge de banneau (une tonne)! Ils déguerpirent aussitôt.

On dit que d’autres audacieux continuèrent la fouille, et quinze fois plus de terre fut retirée du sol. L’érable quasi déraciné, le chaudron d’argent brillait toujours par son absence. Aurait-il été trop enfoui ? Serait-il tombé dans un puits mystérieux ? Seul un sourcier pourrait le dire…

Même si ce chaudron enterré s’avère plus légendaire que réel, l’agriculture prospère et le gaz naturel abondant de Saint-Flavien témoignent de la richesse de sa terre.

Légende romancée par Nicole Demers et Véronik Desrochers.

Comme dans tous les villages québécois où le chemin de fer est passé, la gare a grandement contribué à la naissance et à la croissance de Laurier-Station. Non seulement le train permettait aux résidents de parcourir de bonnes distances en peu de temps, mais il a également stimulé le développement économique de la région, à la grande satisfaction de tout le comté. On n’a qu’à penser à madame Théophile Daigle venue s’installer à proximité de la station, avec ses fils Alexandre et Daniel, pour y exploiter le magasin général et le moulin à scie. Mais, sans plus attendre, laissons la gare de Laurier raconter son histoire.

Le train, alors le moyen de transport le plus utilisé, transportait autant les marchandises que les passagers qui venaient de toutes les paroisses avoisinantes. Si une personne avait affaire à Québec, c’est à bord du Deschaillons qu’elle devait monter. Le convoi partait de Laurier tous les matins, à sept heures, pour être de retour douze heures plus tard, aux environs de sept heures et demie, le soir même. Si quelqu’un voulait plutôt se rendre à Montréal, c’est à bord de l’Express qu’il lui fallait monter. Ce train s’arrêtait chaque jour, à la même heure, pour prendre des marchandises ou des voyageurs. D’ailleurs, il paraît que, de là, est née l’expression « envoyer ça par express ».

Pas besoin de vous dire qu’il y avait toujours de l’action et du monde à la gare, du beau à part de ça ! Les postillons s’empressaient d’y cueillir leur malle, les commerçants s’y rendaient pour envoyer ou recevoir leurs commandes, alors que d’autres venaient simplement y conduire un proche et le voir partir. Souvent, après la réception d’un mariage, plusieurs accompagnaient les jeunes tourtereaux partant pour le traditionnel voyage de noces. Puis, à l’arrivée des beaux jours, les jeunes gens se rendaient à la gare pour jaser en guettant l’arrivée des belles cousines qui venaient en promenade à la campagne ou le retour des gars de chantier après un long hiver. Même si aucun bar ne servait d’alcool à bord des trains, on raconte que plusieurs manquaient souvent la dernière marche à la descente, provoquant la rigolade parmi les flâneurs.

Quelques personnalités importantes sont aussi descendues à la gare de Laurier. L’histoire se souvient de certains premiers ministres en campagne électorale et, bien sûr, du seigneur Edmond-Gustave Joly de Lotbinière qui y débarquait accompagné de ses fils. Ceux-ci faisaient alors le délice des jeunes demoiselles du temps. D’ailleurs, les mères voyaient toujours d’un bon œil que leur adolescente soit courtisée par un jeune homme venu travailler à la station de Laurier. Plusieurs d’entre eux se sont même établis dans la région après avoir épousé une fille du village.
Bien qu’elle ait assisté à de nombreuses histoires heureuses, la gare a également été témoin d’événements plus tristes. Nombreuses sont celles qui ont versé des larmes en voyant partir leur amoureux qui allait travailler en ville ou dans un camp de bûcherons. Cependant, le moment le plus pénible d’entre tous était sans doute l’arrivée d’un cercueil renfermant la dépouille d’un proche tragiquement décédé au loin. Ces histoires à serrer le cœur faisaient également partie de la vie de cette halte ferroviaire…

Si la gare pouvait parler, que de souvenirs elle raconterait ! Toute l’histoire de Laurier-Station est intimement liée aux trains et à la voie ferrée. Ses habitants leur doivent la naissance et la prospérité de leur village. Donc, même s’ils ne font plus autant partie de la vie des résidents, les trains méritent bien qu’on tolère leur présence malgré les quelques inconvénients qu’ils entraînent sur leur passage.

Source : site Internet de la municipalité de Laurier-Station.

Avant la venue des automobiles et des trains, on se déplaçait en Lotbinière essentiellement à cheval. Nombreux ont été les forgerons de métier qui s’affairaient à ferrer les pieds des chevaux et à réparer les voitures tirées par ces derniers. Déjà en 1873, Lazare Boucher exerçait ce métier à Saint-Agapit. Aristide Boutin, Ladislas Croteau, Évangéliste et Charles Desrochers ainsi que Wilfrid Olivier ont également ferré bien des chevaux. Pour ce faire, il fallait râper et soigner les sabots au besoin. Les vaillants travailleurs martelaient également les ferrures des bobsleighs, des carrioles, des borlots et des banneaux grâce à un petit feu à charbon qui réchauffait la forge. Le martèlement du marteau sur l’enclume et l’odeur de corne de sabots brûlée accompagnaient le travail des forgerons toute la journée. Roger Bélanger, le dernier forgeron officiel de l’avenue Bergeron, se souvient qu’en 1948, on ferrait les quatre sabots d’un cheval pour trois dollars.

Les hommes du village aimaient bien se rassembler à la forge, surtout l’hiver. On descendait du village et des rangs des alentours, Sainte-Marie, Cataraqui… et on venait placoter, jouer une partie de cartes ou de dames. Parfois, on se contait même des histoires, question de passer le temps. C’était avant que la télévision ne vole la parole aux conteurs…

V‘la ti pas qu’un beau matin de printemps, les hommes s’étaient attroupés à la forge afin de faire préparer leurs animaux pour le travail aux champs qui allait bientôt s’amorcer. Les hommes avaient constaté que la belle jument du père Gédéon avait un « je ne sais quoi » d’original ce matin-là. Sa petite coquetterie, tout à fait féminine, était bien évidente. Quelques-uns se retenaient pour ne pas pouffer de rire, sachant fort bien que le père Gédéon était très soupe au lait, en plus d’être mauvais perdant aux cartes.

Le père Gédéon, vraisemblablement désemparé, pris les devants et raconta aux autres l’étrange histoire qui suit :

« À matin, quand je suis entré dans l’écurie pour aller à ma jument, v’la ti pas que j’la trouve essoufflée, comme si elle avait couru toute la nuit dans l’enclos. J’ai trouvé ça étrange, mais comme c’est ma vieille jument, je m’en faisais pas trop. Mais quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’en plus, elle avait la crinière et la queue toutes tressées. Ah ben là… j’comprenais pu rien.

J’me vais à la maison demander à ma femme si c’est elle qui a fait de tels sparages pour la belle jument. Elle me dit que non, mais qu’elle a entendu bardasser durant la nuit. C’est alors qu’elle me raconte que le père Alphonse Houde, d’Issoudun, lui avait déjà dit que le soir, quand il faisait chaud, au printemps ou à l’été, il allait toujours mettre un plat d’avoine à la contre-porte de l’étable ou de l’écurie.

“Ben étrange, lui dis-je. Pour quoi faire ?” Elle m’a alors parlé des lutins, les p’tits coquins, qui aimaient jouer des tours. Paraît que le bonhomme Houde s’était caché une nuit et avait observé leur petit manège. Ils se trouvaient un petit banc et commençaient par tresser en petites couettes la crinière du cheval. Ensuite, ils le chevauchaient, trois-quatre à la fois et le faisaient courir toute la nuit. À l’aurore, ils s’empressaient de nourrir l’animal avec un peu d’avoine et disparaissaient au plus vite.

Houde se souvint alors d’un truc de grand-mère pour distraire les lutins et permettre à son cheval de se reposer. Il mit donc un plat d’avoine devant la porte de l’écurie. La nuit venue, les lutins malveillants arrivèrent à la course, empressés de recommencer leur petit manège. Les étourdis ne virent pas le plat d’avoine et le renversèrent. Ces taquins petits êtres ont bien des défauts, par contre, ils sont très à l’ordre. Ils ont donc passé toute la nuit à ramasser les grains d’avoine, un par un, alors que le cheval dormait paisiblement. Orgueilleux, ils ne sont jamais revenus à son écurie.»

Cette histoire a bien amusé tous les hommes à la forge, à tel point que le soir venu, c’était le fait cocasse qu’on racontait au souper dans plusieurs chaumières à Saint-Agapit. Mais notre père Gédéon n’entendait pas à rire et décida de déclarer la guerre aux lutins. Ce soir-là, il mit donc un plat d’avoine à la porte de l’écurie, comme le bonhomme Houde. Ben vous ne le croirez peut-être pas, mais le lendemain matin, le bol trônait encore devant la porte, intact, rempli comme la veille! Gédéon n’a plus jamais eu de visiteurs nocturnes.

Légende composée par Marie-France St-Laurent
inspirée de faits historiques tirés de Saint-Agapit – 1867-1992.