De la visite venue du fleuve

Le fleuve Saint-Laurent fut jusqu’au début du 20e siècle le principal chemin d’accès aux municipalités le longeant. Les résidents se servaient de goélettes pour se rendre à la ville et ainsi vendre les produits de la terre et faire des commissions. De plus, certains partaient en pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré ou au Cap-de-la-Madeleine.

Le fleuve constituait indéniablement le chemin le plus facile pour atteindre Québec ou Montréal avant que les routes en macadam ne soient réalisées en 1922-1923. Le Saint-Laurent apportait également ses petits plaisirs, l’hiver venu, lorsque les glaces se formaient. Bien sûr, c’était avant la construction du pont de Québec et l’ouverture du chenal pour favoriser la navigation à l’année. Lorsque la saison froide s’installait, l’immense cours d’eau gelait et on pouvait se visiter de la rive nord à la rive sud, de Portneuf à Lotbinière. Les riverains organisaient des veillées de part et d’autre, les jeunes gens ébauchaient des projets de mariage qui ne se réalisaient parfois que l’année suivante.

Quand les glaces arrêtaient de bouger, les gens de la rive sud l’apprenaient par l’arrivée de Samuel Godin, intrépide citoyen du secteur des Écureuils à Donnacona, qui traversait en patin. Quelques jours après, les hommes balisaient la route glacée avec des gaules, de longues perches de bois, qui délimitaient le chemin officiel. À cette époque, les battures permettaient également la pêche blanche. On y aménageait donc de petites cabanes de bois pour protéger les pêcheurs du vent. Les rives du fleuve étaient alors fort animées.

C’est aussi par le Saint-Laurent que vinrent les premiers bâtisseurs de Sainte-Croix. Quelle épopée que l’arrivée du premier ancêtre des Legendre ! Si l’un de vos amis vous disait, à brûle-pourpoint, que son ancêtre est arrivé en Amérique à la nage, vous auriez sans doute le réflexe de le traiter de loufoque ou de farfelu. Pourtant, c’est ce que pourraient vous raconter les Legendre d’Amérique dont l’ancêtre Jean-Baptiste s’est retrouvé à Sainte-Croix en d’étranges circonstances… Voici l’histoire, selon les souvenirs de son descendant, Louis-Philippe.

Le premier de la lignée des Legendre n’était pas un fils de Neptune sorti de la mer sur un char tiré par deux chevaux marins. En fait, il aurait vécu à Paris, mais serait originaire du département de Maine-et-Loire. Aux alentours de 18 ans, Jean-Baptiste déserte ses parents, Jacques Legendre et Geneviève-Catherine Orioto, et s’engage au Havre en tant que matelot à bord d’un voilier en partance pour le Canada. Arrivé à Québec, Jean-Baptiste n’essaie pas de fuir tout de suite, il attend le moment propice pour disparaître avant la fin du voyage, prévu à Montréal.
Un soir, le capitaine fait jeter l’ancre vis-à-vis de la rivière Jacques-Cartier. Du côté nord, les flots rapides du cours d’eau découragent Jean-Baptiste qui juge la rive sud plus sécuritaire. Même s’il doit nager plus d’un kilomètre, des habitations sur la falaise lui donnent espoir. C’est Sainte-Croix.

À la faveur des ténèbres, le fugueur se glisse à l’eau et, comme un phoque, rejoint la rive pour s’y blottir en attendant l’aube. Tôt le matin, il grimpe la falaise et se dirige vers une habitation où une vieille femme le reçoit. À la vue d’une chaloupe qui se détache du vaisseau, sans doute pour essayer de capturer le fuyard, la bonne samaritaine lui ordonne de se cacher dans une barrique de lard salé alors vide. Mais, fausse alerte, la marée montante presse le capitaine de repartir et d’abandonner la poursuite.

Legendre se présente, déballe ses projets d’avenir et gagne la sympathie de la maison. Afin de le protéger, on l’envoie loger chez le fils de la dame, lequel vit plus loin dans les terres. C’est ainsi que l’ancêtre Legendre arriva à Sainte-Croix à la nage !

Jean-Baptiste devint un citoyen rangé, se mariant une première fois avec Suzanne Bourbeau, le 2 avril 1720. Le couple s’établit sur une terre à Sainte-Croix et eut deux filles. Son épouse décédant dans la fleur de l’âge, Jean-Baptiste se remaria le 24 novembre 1727 avec Anne Lemay, native de la paroisse voisine, Saint-Louis-de-Lotbinière. S’ensuit alors une longue généalogie de Legendre. Toutefois, l’histoire ne nous dit pas si les descendants sont d’aussi audacieux aventuriers et d’aussi bons nageurs que leur aïeul…

Sources : J.A. LeMay, Tricentenaire Seigneurie de Sainte-Croix Lotbinière
La petite histoire des paroisses de la Fédération des Cercles de Fermières
du district régional no 4.

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